Stockage d’hydrogène en cavités salines

L’une des principales solutions pour résoudre le problème du stockage à grande échelle d’hydrogène est de le placer dans des cavités salines. Si ces cavernes aux parois imperméables et solides sont depuis longtemps utilisées pour stocker le méthane, cette technologie reste expérimentale pour le dihydrogène et ne sera pas capable de gérer de grandes quantité d’H2 avant plusieurs années.


Le stockage de gaz dans les cavités saline est quelque chose d’étonnant. Il y a des gisement de sel enterrés dans le sol et l’idée est d’injecter de l’eau, à l’aide d’un tube, pour dissoudre le sel, puis de récupérer la saumure. Vous créez ainsi une cavité avec des parois solides, composées de chlorure de sodium. On le faisait avant surtout pour récupérer la saumure ainsi créée. Maintenant, c’est aussi (surtout?) pour créer des réservoirs.

L’un des intérêts est que le stockage peut se faire à des pressions élevées: « jusqu’à 200 bars pour une cavité située à 1100 m de profondeur. » (Agnoletti et al. 2021, p.20) Le sel, ne réagissant pas et étant imperméable, agit comme un revêtement idéal.

Si c’est une technique utilisée depuis longtemps pour stocker le méthane, elle est encore au stade expérimentale pour le stockage d’hydrogène à grande échelle.

Stocker le gaz en caverne saline: une solution mature ?

Miner le sel par dissolution est une pratique ancienne : c’était déjà pratiqué par la dynastie Qin, dans la Chine du IIIe siècle av. J-C à l’aide de bambou. (Warren 2016, p.1304) Depuis 1949, le procédé est utilisé pour créer des cavités étanches permettant de stocker des hydrocarbures. (Warren 2016, p.1319) Il y a actuellement plusieurs dizaines de lieux de stockages dans le monde, dont notamment 2 en France. Vous avez par exemple le site souterrain Géosel, mis en service en 1969, qui peut stocker, entre 350 et 750 mètres de profondeur, 9,2 millions de m3 de produits pétroliers. Il est géré par Géostock. Un autre site, Géométhane à Manosque, exploité par Storengy, stocke jusqu’à 274 millions de m3 de gaz naturel. En France, on préfère globalement néanmoins le stockage en nappes aquifères, notamment parce que le fait que le sel soit corrosif pose problème.

Parlons un peu des risques liés à ce type de stockage, avant d’étudier si c’est une solution pour entreproser l’hydrogène.

Des risques d’effondrement du sol

Le risque le plus évident est sans doute l’affaissement de la zone surplombant la caverne. Par exemple, la ville de Tuzla, en Bosnie-Herzégovie, vit son sol « descendre » jusque 12 mètres entre 1956 (~le début de l’exploitation d’une mine de sel) et 2003 selon la zone. (Warren 2016, p.1336) Comme pour tout stockage d’hydrogène souterrain, on peut se demander si l’activité sismique ne représente pas un risque selon les endroits.

La mine de Verkhnekamsky en Oural s’était d’ailleurs effondrée suite à un séisme d’une magnitude de 4.7 sur l’échelle de Richter, laissant s’échapper 900 000m3 de gaz. La seconde plus grande mine du monde, aux Etats-Unis, s’était également effondrée le 12 mars 1994, suite à un séisme d’une magnitude de 3.6. (Warren 2016, p. 1337-8) Il est probable que les protocoles modernes prennent ces risques en compte, ces derniers existant déjà pour le stockage de méthane, mais il me semble intéressant de le souligner, notamment parce que cela limite peut-être l’ampleur des sites viables.

La contraction de la cavité: le « salt creep »

Enfin, il faut aussi évoquer le « salt creep », la propension de la cavité à se rétracter:

« Laissé seul, et non soumis à une incursion d’eau douce, le sel (en particulier le sel de carnallite et de bischofite) se glissera dans un caverne de stockage hermétique jusqu’à ce que les pressions différentielles soient égalisées. »

Warren 2016, p. 1367

Je ne suis pas sûr que ce soit très problématique pour un usage saisonnier.

Une solution néanmoins « mature » … pour le méthane

Il y a aussi de très nombreuses autres difficultés, comme la « distribution non-univorme de blocs de sel » (Wanyan et al. 2018), mais, au final, les cavernes de sel resteraient globalement un moyen de stockage très stable:

Presque tous les problèmes documentés aux États-Unis et ailleurs proviennent d’opérations utilisant des cavernes construites selon des méthodes anciennes et moins prévenantes. Même ainsi, dans tous les incidents liés à divers stockages dans des cavernes de sel l’intégrité de la caverne n’a jamais été menacée. Tous les incidents à ce jour peuvent être attribuée à de mauvaises pratiques de gestion ou l’utilisation d’installations inadéquates. Les cavernes de sel construites à cet effet sont probablement l’un des moyens les plus sûrs de stocker les hydrocarbures et d’éliminer les déchets dangereux.

Warren 2016, p. 1374

« La technique de stockage de gaz en cavité saline est aujourd’hui maîtrisée, elle bénéficie d’un retour d’expérience de plus de 50 ans pour le gaz naturel, ce qui permet de contrôler très largement les risques pour les populations et l’environnement. » Grégoire Hévin.

https://medium.com/@clement.loiseau/vers-le-stockage-dhydrog%C3%A8ne-en-cavit%C3%A9-saline-7d7e5882589c

Néanmoins, si c’est sans doute vrai pour le gaz naturel, c’est faux pour l’hydrogène.

Stockage en cavité saline: les challenges de l’hydrogène

« Il faut vérifier que les équipements utilisés aujourd’hui avec du méthane peuvent bien être adaptés pour l’hydrogène, que l’étanchéité soit adaptée, et que tout le matériel de surface soit mis en place. Il faut qu’on arrive à ce que ça fonctionne, et nous bénéficions pour cela de subventions européennes »

Camille Bonenfant-Jeanneney, directrice générale de Storengy.

Il y a actuellement 4 sites de stockage d’hydrogène en cavités saline: il y a des sites à

  • Teesside au Royaume-Uni depuis 1972, opéré par Sabic Petroleum,
  • Moss Bluff aux Etats-Unis depuis 2007, opéré par Parxair et
  • Clemens aux Etats-Unis depuis 1983 opéré par Conoco Phillips. (Tarkowski 2019)
  • Spindletop aux Etats-Unis (Agnoletti et al. 2021, p. 43)

Ils contiennent respectivement 210, 566, 580 et 906 milliers de m3 d’hydrogène. Il s’agit de ‘réserves stratégiques pour des usages de raffinage d’hydrocarbure. » (Engie) Néanmoins, cet usage ne correspond pas à ce qu’on envisage d’en faire : « La fréquence et les quantités utilisées sont faibles. Pour un usage énergétique, on prévoit des cycles d’injection et de soutirage plus rapide et de plus grande amplitude. » (Engie) En France, il y a deux sites qui sont expérimentaux (et dont nous allons parler plus loin).

Le stockage industriel d’hydrogène à grande échelle dans des cavernes salines n’est donc absolument pas mature. L’hydrogène pose en effet plusieurs challenges spécifiques.

Adapter les équipements

Comme toujours, on retrouve le principal problème de l’hydrogène: il est minuscule et il abîme l’acier. Les équipement (compresseurs, tubes, etc.) doivent être adaptés.

Mais selon l’ingénieur Ludovic Leroy, qui assure des formations aux professionnels du monde de l’énergie, les études de seuil n’ont en fait toujours pas débuté. « Il n’y ont pas injecté la moindre molécule d’hydrogène. Ils essaient de redéfinir le compresseur [l’appareil qui augmente la pression du gaz en réduisant son volume, ndlr], celui-ci n’étant pas adapté à l’hydrogène.

https://archive.is/KgyNT#selection-2713.12-2713.13

La corruption de l’hydrogène

L’hydrogène peut, au fil de son séjour, être corrompu par les micro-organismes. Selon Agnoletti et al. (2021, p.24-5), « l’impact des microorganismes sur le stockage géologique de l’hydrogène en cavités salines reste encore inconnu. » Néanmoins, il serait « légitime de penser qu’un apport extérieur d’hydrogène dans des environnements tels que le sous-sol terrestre, où la croissance microbienne est sans doute limitée, est susceptible d’exacerber l’activité des microorganismes ». Une étude aurait même observé la « conversion en méthane de 45 à 60 % de l’hydrogène présent dans du gaz de ville, stocké pendant 7 mois en réservoir, et incubé avec un enrichissement en bactéries méthanogènes d’eau souterraine ».

Le principal risque semble être la production d’H2S corrosif.

En fait, ce type de stockage en cavité saline n’a pour l’instant fonctionné qu’au Texas et au Royaume-Uni, et uniquement sur un temps de stockage très court », affirme-t-il. Et pour cause, au delà de quelques jours seulement, l’hydrogène risque de se charger en soufre du fait des micro-organismes de la cavité, nécessitant une désulfuration en aval.

https://archive.is/KgyNT#selection-2713.12-2713.13

Les usages de l’hydrogène pour la mobilité requièrent une pureté extrême. Or, le gaz sera amené à séjourner durablement dans une cavité au fond de laquelle subsistent des milliers de m3 de saumure. Ce dernier contient notamment des sulfates qui proviennent de l’anhydrite (H2S) fréquemment associée au sel souterrain. À sa sortie le gaz est humide et chargé de diverses impuretés dont H2S, particulièrement nocif pour les utilisations du gaz en aval. La purification peut représenter une dépense important.

Pierre Bérest

La rareté des sites propices ?

Pour pouvoir faire des cavités salines, il faut qu’il y ait un gisement de sel à creuser. Selon Engie, leur rareté serait même le « principal inconvénient des cavités salines ».

Caglayan et al. (2019) estiment les capacités de stockage théoriques en Europe à 84.8 PWhH2.

Les projets de stockage d’hydrogène en cavités salines

Un exemple: le stockage H2 en cavité saline, les études de sol avant essais n’ont pas commencé, l’adaptation des compresseurs n’a pas été faite, donc aujourd’hui on ne sait pas si c’est possible. Idem pour le stockage en aquifère.

@princertitude

De plus en plus de fonds européens sont alloués à l’hydrogène et des projets permettant son stockage dans des cavernes de sel se développent.

Le projet HyPSTER

En France, il y a un projet dont les études d’ingénierie ont commencé en 2021 qui est animé par Storengy: le projet HyPSTER. Doté d’un budget de 13 millions d’euros, il aurait vocation à héberger jusqu’à 44 tonnes d’hydrogène. Il y aura également un électrolyseur de 1MW, qui devrait produire 400kg d’hydrogène par jour. C’est un test à grande échelle de la viabilité de ce mode de stockage.

Il s’inscrit dans le cadre de la Zero Emission Valley, un projet en Auvergne-Rhône-Alpes.

Le projet implique un consortium d’acteurs européens:

  • Storengy, qu coordine le projet,
  • Armine-École polytechnique qui va aider pour la recherche
  • Element Energy, ESK et Inovyn, qui vont adresser chacun un sujet technique spécifique.
  • Ineris pour l’aspect évaluation des risques et réglementation.
  • Axelera pour communiquer avec la communauté scientifique et industrielle

Le projet Hygreen

Le projet Hygreen Provence envisage de produire de l’hydrogène (grace au photovoltaïque) et de le stocker dans 2 cavités salines voisines (Manosque, exploitées par Géométhane) non exploitées pouvant contenir jusque 6000t. Il a été initié en 2017 par la communauté d’agglomération Durance-Luberon-Verdon et devrait commencer à produire en 2024. Le projet semble surtout tourné vers la production d’électricité pour l’instant.

Advanced Clean Energy Storage

Aux Etats-Unis, le projet « Advanced Clean Energy Storage » (ACES) rassemble Mitsubishi Power et Magnum Development pour produire 1GW d’hydrogène vert et en mettre une partie dans des cavernes salines pouvant contenir jusque 5500 tonnes d’hydrogène. (CNBC)

HYPOS (Hydrogen Power Storage and Solutions East Germany)

Hydrogen Power Storage & Solutions East Germany (HYPOS) est un projet visant à déployer des capacités de production et de stockage d’hydrogène en Allemagne de l’Est, entre Dresde, Magdeburg et Erfurt. L’un des premiers projets serait un stockage en cavité saline pouvant contenir 126 GWh d’H2. Le second est un électrolyseur de 1.4GW basé sur la technologie PEM pour permettre le couplage avec des énergies renouvelables. (Innovation&Strukturwandel)


Pour aller plus loin

Cet article fait partie de notre dossier “Hydrogène, autonomie et transition énergétique“.

Cette vidéo montre en détail le fonctionnement d’une unité de stockage de méthane en cavité saline: