Du ciment décarboné grâce à l’hydrogène ?

L’hydrogène est envisagé à la fois pour décarboner la chaleur nécessaire à la conception du ciment et pour valoriser la chaleur et le CO2 en étant issu. Cette piste serait combinée à de la capture de CO2 pour aboutir à un ciment neutre en carbone. Cette idée est toutefois concurrencée par d’autres solutions intéressantes pour plusieurs ciments bas carbone.

Cet article s’inscrit dans notre dossier sur la place de l’hydrogène dans la transition écologique et, plus précisément, dans sa partie sur les utilisations de l’hydrogène.


Le secteur de la construction est l’un des secteurs les plus polluants et l’une des grandes raisons en est le ciment. Sa production est, à elle seule, responsable de 7 à 8% des émissions mondiale de gaz à effet de serre. L’une des principales raisons à ce terrible impact environnemental est d’une part un besoin très important de chaleur et d’autre part la nature même de la réaction: on extrait le carbone de la roche calcaire. Le contraire de ce qu’il faudrait faire pour l’environnement en somme …

En même temps, c’est une production cruciale. Le ciment donne du béton lorsqu’il est mélangé à de l’eau, du sable et du gravier. Ce matériau, démultipliant les possibilités de construction, a déclenché une révolution architecturale et, même si les constructions en bois font des progrès, on voit mal la consommation réduire prochainement. Décarboner la production de ciment est donc l’un des challenges les plus importants de la transition écologique.

Nous commencerons par revenir sur la production du ciment aujourd’hui, avant d’étudier comment l’hydrogène permettrait de la décarboner et quelles sont les technologies concurrentes. C’est, avec la production d’acier, l’un des principaux procédés non-électrifiables que l’hydrogène pourrait participer à décarboner.

La production de ciment : des émissions massives de dioxyde de carbone

Résistance et fluidité: un matériau révolutionnaire

Le ciment tient le rôle de « liant hydraulique« : mélangé à du sable et du gravier, il donne du béton. En 1817, Louis Vicat a découvert la théorie de l’hydraulicité, qui a ouvert la voie à l’invention du ciment tel qu’on le connait, le ciment Portland, en 1824 par le britannique Joseph Aspdin. Louis Vicat a également découvert le clinker, élément constitutif du ciment lent et qui permettra le développement du ciment Portland (rq: maintenant on parle de portland standard CEM).

Ses propriétés mécaniques, physiques et chimiques ont déclenché une révolution architecturale sans précédent: il est liquide et doté, une fois sec, d’une résistance considérable. Des ouvrages impensables même quelques années avant se sont multipliés grâce à ces nouveaux matériaux. Sont apparus des bâtiments aux formes improbables, mais aussi des préfabriqués qui ont donné un logement à de nombreux ouvriers.

La fabrication en deux mots

Le chemin du ciment commence à la carrière: il faut extraire le calcaire (80%) et l’argile (20%) qui en être les principaux composants. On va ensuite les broyer, les réduire en poudre, pour former ce que les industriels appellent « la farine ». Elle est placée dans un circuit de tuyaux en « cyclone » qui l’amène à un four très puissant. Le matériau va à contre-sens d’un air chaud dépassant les 900°C qui va le calciner partiellement pendant son trajet (on parle de « calcination du calcaire). Elle va être ensuite brûlée à 1450°C (en général grâce à des énergies fossiles comme le gaz ou le charbon) dans un fourneau rotatif pour former le « clinker« . Ensuite, il est brutalement refroidi, on y ajoute des matériaux, dont les principaux sont le laitier, issu de la réduction du fer dans les hauts fourneaux produisant de l’acier, les pouzzolanes, la fumée de cilice ou les cendres volantes.

La composition finale déterminera sa classification et son utilisation. Il y a différents types de bétons. Le CEM-I inclut >95% de clinker et pourra être utilisé pour les usages très exigeants, comme des dalles, des planchers ou des murs. Le CEM-II inclut 65% de clincker et est adapté aux gros oeuvre. Le CEM-III contient 5 à 64% de clinker et le reste de laitier de haut-fourneau, d’où son nom « ciment de haut-fourneau ». On pourra le trouver dans les grands ouvrages, comme les piliers d’un pont.

La réaction chimique de production du clinker

Ce qui nous intéresse ici est d’une part la calcination du calcaire (CaCO3 => CaO +‡ CO2). On retire en effet le carbone du calcaire pour que, se recomposant avec la silice et l’alumine de l’argile (SiO2–Al2O3), il fasse du silicate tricalcique ou alite (Ca3SiO5, 50 à 65%), du silicate bicalcique ou belite (Ca2SiO4, à 15-20%), de l’aluminate tricalcique ou aliminate (Ca3Al2O6, 5-15%) et du ferro-aluminate tétracalcique ou ferrite (Ca4Al2Fe2O10, 5-10%). (Wikipedia)

En plus de la consommation d’énergie pour produire la chaleur (en général entre 3.3 et 4MJ/kg de clinker, JRC 2010 p.48), on libère donc chimiquement du CO2. Pas top … Au total, une tonne de clinker émet directement 535 kg de CO2 de la calcination du calcaire et en moyenne 330 kg pour la production de chaleur. (Kumar Chatterjee 2018, p.168) Si on étend cette analyse à tout le cycle de vie de la fabrication, l’empreinte carbone du ciment s’alourdit encore: il faut inclure les émissions de GES de l’extraction de minerai et du transport de ces masses gigantesques. Vasilakis (2001) les estime à 141 kg de CO2 supplémentaires.

Un ciment décarboné grâce à l’hydrogène ?

De manière générale, décarboner la production de ciment semble une préoccupation importante de l’industrie cimentière. Ainsi, le groupe Vicat a annoncé souhaiter atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Lafarge (Holcim) annonce que 55% de ses projets de R&D consacrés au carbone et souhaiter réduire les émissions nette de CO2 par tonne de ciment à 550kg en 2022 et 475kg en 2030.

Utiliser de l’hydrogène pour décarboner la chaleur

L’hydrogène est envisagé pour remplacer les combustibles fossiles (charbon, gaz) pour la création de chaleur nécessaire au chauffage du fourneau. Il était déjà possible de substituer une partie des combustibles par des biocarburants, mais l’essentiel restait de l’énergie fossile. L’hydrogène permettrait de s’en passer complètement. Evidemment, il faudrait résoudre le problème de sa production: il est actuellement surtout issu du vaporéformage du méthane ou de la gazéification du charbon. Pour que ces hypothèses soient viables, l’hydrogène devrait être issus de procédés bas carbone, comme l’électrolyse de l’eau (avec une énergie bas carbone) ou la pyrogazéification.

Cette piste n’est néanmoins pas simple: la flamme de l’hydrogène n’a pas les mêmes propriétés que la flamme du méthane et, si on peut atteindre l’effet cherché en couplant l’H2 à des biocarburants ou de la biomasse.

C’est d’ailleurs ce qu’a expérimenté avec succès l’usine de la filiale Hanson UK de Heidelberg Cement à Ribblesdale (UK) en octobre 2021. Elle a opéré avec succès un fourneau uniquement alimenté par de l’hydrogène vert, de la biomasse et de la glycérine coproduite par d’autres industries. L’ensemble serait neutre en carbone. (communiqué de HeidelbergCement)

Le groupe Vicat aurait annoncé se passer d’énergies fossiles d’ici 2024.

Il y a également un partenariat en Autriche entre Lafarge (cimentier) et ThyssenKrupp (équipementier – électrolyseurs)

L’hydrogène pour valoriser la chaleur fatale de la production de clinker

Une autre piste pour réduire les émissions de GES du ciment est de valoriser la chaleur fatale produite. Une des manières de le faire serait en l’associant à l’électrolyse haute température. Le cimentier Vicat s’est ainsi associé au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) pour valoriser la chaleur grâce aux électrolyseurs haute température développés par Genvia.

L’hydrogène pour valoriser le CO2

Le CO2 produit sur site pourrait être associé à de l’H2 pour produire du méthane ou du méthnol.

C’est cette possibilité qu’explore le projet Hynovi mené par le groupe Vicat. Le cimentier envisage de capter 40% du CO2 d’une cimenterie (Montalieu-Vercieu, 38) et de le combiner à l’hydrogène bas carbone produit sur site par les électrolyseurs de Hynamics (330MW annoncés pour 2025) pour fabriquer du méthanol décarboné (200 000 tonnes par an annoncées, soit un quart de la consommation de méthanol de la France).

Lafarge – Holcim tente, dans la même idée, de valoriser le CO2 produit en carburant vert dans une unité expérimentale à Lägerdorf, en Allemagne.

L’hydrogène pour réduire les émissions indirectes

La fabrication de ciments mobilise des véhicules extrêmement lourds. Ces derniers ne peuvent pas être électrifiés avec des batteries : ces dernières seraient trop lourdes. C’est l’un des avantages de l’hydrogène : lui peut (pour aller plus loin, je vous renvoie à notre article sur la mobilité hydrogène).

Le groupe Vicat a, en ce sens, expérimenté la production d’hydrogène sur site. Ils projettent d’en produire suffisament pour l’alimentation de 10 poids lourds Nikola d’une part grâce à des électrolyseurs alcalins fournis par Hynamics, la filiale d’EDF et d’autre par grâce à l’électrolyse haute température dont nous venons de parler.

La nécessaire capture de carbone

Evidemment, utiliser de l’hydrogène pour chauffer le ciment ne résout pas le problèmé des émissions de GES de la réaction de décalcification du calcaire elle-même. Il faudrait donc d’utiliser de la captation carbone (CCUS) pour capter les émissions en question.

LafargeHolcim aurait 20 projets de CCUS en Europe, Canada et US explorant notamment différentes pistes pour le stockage / l’usage.

Une des pistes pour l’améliorer et la technologie Leilac (Low Emissions Intensity Lime And Cement). Celle-ci serait basée sur la technologie de « séparation directe » Calix, qui aurait été conçu pour la production de magnesite et équiperait un réacteur à échelle commerciale depuis 2013. La difficulté de l’adaptation résiderait dans la chaleur, largement plus élevée dans le cas du ciment, des fumées. Une unité expérimentaire (LEILAC1) a été construite à Lixhe (Belgique) en 2019. Le projet LEILAC2, commençant en 2020 et financé à hauteur de 16 millions d’euros par le programme européen Horizon 2020, a pour objet de séparer (récupérer ?) 20% des émissions d’une usine standard de fabrication de ciment. En même temps, l’univé va expérimenter des sources de chaleurs (potentiellement) bas carbone (électricité et carburants alternatifs).

Parenthèses : quelques ciments alternatifs

Au-delà de ces innovations, il me semble intéressant d’évoquer les alternatives au ciment traditionnel. Vous avez:

  • Les ciments (H-Iona, H-UKR …) de Hoffmann Green Cement Technologies (HGCT) est produit à froid, sans cuisson et sans calcaire, en utilisant des coproduits de l’industrie (laitier de hauts fourneaux, argiles, phosphogypses..), qui permet de produire un béton comparable au béton traditionnel. Ils annoncent un béton plusieurs fois moins polluant Imaginée en 2014 par Julien Blanchard et David Hoffmann, l’entreprise a été introduite en bourse dès 2019.
  • LafargeHolcim a développé une gamme de ciments « ECOplanet » qui émettraient 30 à 90% de CO2 en moins en 2020. Ecoplanet prime émettrait ~50-60% moins de CO2, Ecoplanet max ~80-90% et Ecoplanet zéro serait couplé à de la compensation carbone pour atteindre le 100%. Le premier ciment Ecoplanet aurait été disponible en 2021.
  • Ciments Calcia, une filiale française de HeidelbergCement, développe également FastCarb (Carbonation accélérée des granulats de béton recyclé), qui consiste à utiliser du béton recyclé pour absorber du CO2.
  • Le béton de bois. Il s’agirait d’incorporer des granulats de bois dans la recette du béton. C’est notamment ce que proposerait CCB greentech avec « TimberRoc« . On peut aussi combiner cela avec les ciments bas carbone. C’est ce qu’atenté de faire Capremib, fabricant de préfabriqués en béton, avec la solution HGCT en 2020.

Notez que l’utilisation de laitier issu des hauts-fourneaux lors de la réduction du fer pourrait être contredite si ce procédé de fabrication d’acier est remplacé par la réduction directe du fer avec de l’hydrogène (DRI-EAF). Cela pourrait gêner les solutions comme H-Iona ou Ecocem, qui reposent dessus. L’industrie cimentière le sait bien, Calcia l’a d’ailleurs reconnu :

Mais ce type de recyclage va diminuer du fait de la transformation de l’industrie de l’acier : l’avenir n’est plus dans les hauts-fourneaux mais dans une production d’acier combinant minerai de fer pré réduit (DRI) et four à arc électrique (EAF). Ce process réduit significativement les émissions de CO2 mais ses résidus ne peuvent plus être utilisés tels quels par l’industrie cimentière. C’est pourquoi le projet « SAVE CO2 » cherche à développer de nouveaux types de scories EAF pouvant être utilisées comme composants du ciment et du béton. Ces innovations visent à renforcer l’économie circulaire et les synergies entre les industries de l’acier et du ciment.

https://calcia-infos.fr/lacier-et-le-ciment-un-projet-commun-pour-un-enjeu-commun/

Ainsi, il y a beaucoup de recherche et d’innovations sur la décarbonation du béton. Est-ce que l’hydrogène se détachera comme la solution la plus viable ? C’est incertain.


Sources:

  • Joint Research Centre, Institute for Prospective Technological Studies, Kourti, I., Delgado Sancho, L., Schorcht, F., et al., Best available techniques (BAT) reference document for the production of cement, lime and magnesium oxide : Industrial Emissions Directive 2010/75/EU (integrated pollution prevention and control), Publications Office, 2013, https://data.europa.eu/doi/10.2788/12850
  • Davis J.S. et al. (2018), « Net-zero emissions energy systems », Science • 29 Jun 2018 • Vol 360, Issue 6396 • DOI: 10.1126/science.aas9793
  • Vasilakis, N. (2001) Life Cycle Assessment and Exergy Analysis of Concrete, Diploma Thesis, LHTEE/AUTh, Thessaloniki, Greece. (cité dans Koroneos et al. 2005)
  • C’est pas sorcier -BETON : Les sorciers au pied du mur

Pour aller plus loin :