L’hydrogène pour décarboner la production d’acier

La production d’acier est l’une des industries qui émet le plus de gaz à effets de serre : 7.6% des émissions mondiales. L’hydrogène est l’une des pistes les plus prometteuses pour décarboner ce secteur en retirant la phase la plus polluante : la réduction du minerai de fer. Les industriels mobilisent d’importants moyens, se chiffrant en milliards d’euros, pour développer ces nouveaux procédés ainsi que la production d’hydrogène décarbonée pour les approvisionner.

Cet article s’inscrit dans notre dossier sur l’hydrogène dans la transition énergétique et, plus précisément, ses usages.


La production d’acier représente l’une des principales sources de gaz à effets de serre au monde: 7.6% des émissions de gaz à effets de serre. C’est aussi une industrie en plein essor : selon la world steel association (2020), la production mondiale d’acier est passé de 1435 millions de tonnes en 2010 à 1875 en 2019. Décarboner l’industrie sidérurgique est l’un des grands challenges de la transition énergétique.

Il y a une piste pour largement décarboner la production d’acier : l’hydrogène.

A la base, l’acier et l’hydrogène ont une relation assez conflictuelle, et pour cause : l’hydrogène détruit l’acier ! Plus précisément, il affaiblit la liaison des atomes et va venir s’associer avec les atomes de carbone. Cela cause la formation de phases fragiles qui mettent en danger la structure de l’objet. Ce processus concerne plusieurs métaux (ex: Cuivre, titane) et a même un nom : « fragilisation par l’hydrogène » (ou FPH). C’est d’ailleurs l’un des grands challenges du transport d’hydrogène : à la moindre microfissure, le gaz pourrait venir attaquer le métal.

Néanmoins, au-delà de cet antagonisme, l’H2 est un gaz réducteur (= qui a tendance à capter de l’oxygène, logique : H2 + 0 = H20) et c’est justement la réduction du minerai de fer qui demande beaucoup de gaz à effet de serre. Commençons donc par le début : comment est produit l’acier ?

Comment est produit l’acier ?

Les deux principales façons de produire l’acier sont en partant de minerai de fer ou d’acier recyclé. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, cette dernière voie représente plus d’un tiers de production en Europe. Nous n’allons néanmoins nous intéresser qu’à la première filière (dite « filière fonte »), notamment parce que la phase qui nous intéresse le plus est la phase de réduction du minerai de fer.

La réduction du minerai de fer

Le minerai de fer à l’état naturel est en réalité de l’oxyde de fer (plus précisément, on parle d’hématite). Oui, comme la rouille ! Vous devez donc dans un premier temps en extraire l’oxygène : ce qu’on appelle la « réduction » (c’est l’inverse de l’oxydation).

Exemples : Fe3O4 + 4CO → 3Fe + 4CO2 ; Fe2O3 + 3CO → 2Fe + 3CO2

Elle se produit à partir de 900°C.

Fondre le métal

Une fois qu’il a été reduit, vous devez encore fondre le métal pour pouvoir le travailler et éliminer ses impuretés. La température de fusion du fer est de 1538 °C.

Ces deux opérations sont vraiment le « coeur » de la production d’acier. Ensuite, une fois que vous avez votre métal incandescant, vous allez le travailler de différentes façons pour obtenir le produit final : des plaques ou des rouleaux de feuilles d’acier, composé de divers alliages (on ajoute par exemple de l’aluminium ou du manganèse) selon la commande. Je parlerai peu de ces étapes, qui ne devraient pas particulièrement changer selon le mode de production de l’acier (réduction directe ou haut fourneau), ce dont nous allons parler maintenant.

Les technologies de production d’acier

Il y a deux procédés pour transformer le minerai de fer en acier : le haut fourneau (Blast Furnace-Basic Oxygen Furnace, BF-BOF) et la réduction directe (Direct Reduced Iron – Electric Arc Furnace, DRI-EAF). Le premier domine largement depuis le moyen âge, mais le second tend à revenir à la mode, pouvant n’utiliser que de l’hydrogène.

La production d’acier en hauts fourneaux (BF-BOF)

La réduction et la fusion peut se faire au sein d’un haut fourneau. C’est une sorte d’énorme tour creuse. Dans l’ouverture du haut (« gueulard ») sont placés le coke et le minerai et à la base est injecté de l’oxygène ayant déjà été chauffé à hautes températures (1200°C). On parle aujourd’hui de procédé BF-BOF (Blast Furnace-Basic Oxygen Furnace). La température varie à l’intérieur du dispositif: de 500°C en haut on arrive progressivement à 2100°C en bas. La réduction va se produire dans la partie supérieure grâce au carbone du coke et la fusion en bas.

Initialement, on utilisait du charbon de bois comme réducteur. Néanmoins, la hausse de la production a rendu cette piste bloquante: on manquait de bois. Utiliser la houille (« charbon de mine ») n’était pas une bonne alternative, car elle contient de nombreux composés, comme le silicium ou le soufre, qui fragilisent l’acier produit … La solution, trouvée au début du XVIIIe siècle, a été d’utiliser un dérivé de la houille : le coke. Il s’agit d’un charbon de mine dont les composants volatiles ont préalablement été vaporisés. Le coke sert de combustible et de manière première à la fois. En effet, sa combustion (C + O2 → CO2) est très exothermique (401,67 kJ/mol). C’est son carbone qui va réduire l’oxyde de fer.

Ce procédé produit de la fonte : la teneur en carbone est de 2 à 6.67%. Pour produire de l’acier, qui a entre 0.02 et 2% de carbone, il va falloir retraiter le métal. Classiquement, on la fait passer dans un « convertisseur », dans lequel on injecte de l’oxygène, qui va oxyder le carbone et repartir sous forme de gaz (oui ce n’est vraiment pas un procédé « propre »). Cela enlève presque tout le carbone et produit de l’ « acier sauvage ». En bref, on pourra en remettre, ainsi que d’autres métaux, après coup (selon la composition demandée par le client).

Notez que l’efficience du procédé a été multipliée par le progrès technique. Produire une tonne de fonte demandait 3 tonnes de charbon de bois à l’âge des Lumières, 1 tonne de coke en 1961 et 240kg de coke au XXIe siècle. Malgré ce gain, l’ampleur de la production encourage le développement d’un procédé de production alternatif décarboné. (Wikipedia)

Le DRI (Direct Reduced Iron) et four par arc électrique (EAF)

Avant que les hauts fourneaux ne les supplantent, c’est-à-dire de l’âge du fer (méditerrannée) jusqu’au moyen-âge (en Europe), on utilisait des « bas fourneaux » (rq: ont survécu jusqu’au début du XXe siècle certains procédés, comme la forge catalane ou le tatara japonais, mais je ne détaille pas). Au début, ils ne chauffaient pas suffisamment pour faire entrer le fer en fusion (1538°C), puis cela a été un choix. En effet : il faut pouvoir diminuer la teneur en carbone de la fonte pour la travailler et on a mis longtemps pour apprendre à le faire correctement. On parle de « réduction directe » pour ces procédés de réduction du fer en dessous de la température de fusion de ce dernier.

Des variantes modernes de ce procédé sont petit à petit apparues dès le début du XXe siècle avec le développement du four à arc électrique,. Elle a commencé à prendre un nouvel élan dans les années 1950 et plusieurs procédés (HYL, SL/RN, Purofer, procédé Midrex) se sont révélés viables à l’échelle industrielle. Cette production représente actuellement environ 5% de l’acier produit.

Il s’agit cette fois de réduire le minerai à l’aide de gaz naturel, de charbon et/ou d’hydrogène. Les procédés au charbon (de mine) fonctionnent par gazéification: ils libèrent un syngaz (principalement CO et H2). Le procédé Midrex utilise du méthane pour faire une sorte de vaporéformage immédiat, produisant deux gaz fortement réducteurs : le CO et l’H2.

On aboutit à un minerai préréduit (DRI, Direct Reduced Iron), qui est ensuite fondu dans un four à arc électrique. Ces procédés produisent des « éponges » (des espèces de briques poreuses (forcément: l’oxygène en a été retiré)) ou des « briquettes » de métal (compressées à 650°C).

« Le minerai de fer préréduit (aussi appelé DRI pour Direct Reduced Iron1) est un demi-produit sidérurgique, correspondant à du minerai de fer traité par réduction directe. C’est un mélange de fer métallique (environ 95 % de la masse) et de gangue issue du minerai. »

Wikipedia, Minerai de fer préréduit

Ensuite, on retrouve la même technique que pour fondre l’acier recyclé : le four à arc électrique (Electric Arc Furnace, EAF). Ensuite, pas besoin de diminuer la teneur en carbone, c’est déjà bon ! On retrouve ensuite le reste tu procédé de production d’acier (l’affinage, l’ajout d’autres composants, etc.).

L’hydrogène pour décarboner l’acier

L’hydrogène est un gaz réducteur : il se combine avec l’oxygène pour former de l’eau (H2 + O = H2O). L’idée est de lui faire remplacer le coke dans ce rôle pour que la réduction du minerai de fer n’émette que de l’eau (H2O) et non du dioxyde de carbone (CO2). Bien sûr, il faudra que l’hydrogène ait été produit par des procédés bas carbone, comme l’électrolyse de l’eau (alimentée par du nucléaire ou des énergies renouvelables) ou la pyrogazéification / thermolyse de biomasse.

Il y a également des projets de captation carbone (ex: DMX à Dunkirk, CarbHflex à Fos-sur-Mer), mais je ne reviens pas dessus ici.

L’utilisation d’hydrogène pour la réduction directe du minerai de fer

La DRI semble déjà plus alignée avec la transition énergétique que le haut fourneau : d’une part, même si le gaz utilisé contient beaucoup de carbone, il contient aussi beaucoup d’hydrogène et d’autre part on utilise de l’électricité pour fondre le métal (rq: reste à voir dans le détail la source d’électricité). Néanmoins, n’utiliser que de l’hydrogène pour la réduction serait un progrès supplémentaire.

Cela pose néanmoins quelques difficultés. Il faut plus d’énergie pour chauffer la réaction pour la réduction (la réduction avec l’hydrogène est endothermique).

Hybrit : le projet des sidérurgistes SSAB et LKAB

HYBRIT (pour « Hydrogen Breakthrough Ironmaking Technology ») Development est une coentreprise (joint venture) scandinave créée en 2016 rassemblant SSAB (sidérurgie), LKAB (compagnie minière) et Vattenfall (énergie). Son objectif est de développer un procédé de production d’acier décarboné grâce à l’hydrogène.

Ils auraient réussi à produire la « première éponge de fer réduite à l’hydrogène au monde à l’échelle d’un pilote » en juin 2021. Ces éponges de DRI (Direct reduced Iron) sont faites de fer pur, contrairement aux « pellets« , qui contiennent encore de l’oxygène. Une installation visant à démontrer la viabilité de ce procédé serait prévue à Gällivare.

Les investissements titanesques d’ArcelorMittal

ArcellorMittal a annoncé le 13 octobre 2020 son ambition de diminuer ses émissions de CO2 de 30% d’ici 2030 et la neutralité carbone en 2050 en utilisant la voie DRI-EAF et la captation carbone (il parlent de « voie Smart Carbon »). Le sidérurgiste a estimé à 10 milliards d’euros les investissements nécessaires pour atteindre le premier objectif, et entre 15 et 40 milliards à l’horizon 2050.

Rien qu’en France, le sidérurgiste a annoncé en février 2022 le remplacement de 3 hauts fourneaux sur les sites de Dunkerque (Nord) et Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) par des installations permettant la voie de la réduction directe (DRI-EAF) à partir d’hydrogène à partir de 2027. Ces sites représenteraient « à eux seuls 25 % des émissions industrielles de gaz à effet de serre en France. » Cela représentera un investissement de 1.7 milliards d’euros. (Le Monde)

L’entreprise a évalué, pour la transformation de son usine à Breme et Eisenhüttenstadt que la production d’acier par ce procédé couterait 60% plus cher et que la conversion de l’installation représenterait entre 1 et 1.5 milliards d’euros. (Eurometal)

H2FUTURE: le consortium mené par Siemens et Voestalpine

Voestalpine est une entreprise sidérurgique autrichenne qui prévoit d’utiliser de l’hydrogène pour réduire le minerai d’ici 2050. Dans cette perspective, elle a lancé avec Siemens (industrie) et Verbund (énergie) un projet d’électrolyseur PEM de 6 MWh à Linz, financé à hauteur de 18 millions d’euros, dont 12 venant de l’Union Européenne. L’électricité nécessaire viendrait d’énergies renouvelables intermittentes. L’initiative a été validée en avril 2018.

Injecter du gaz de synthèse (CO+H2) dans le haut fourneau

Ces solutions demanderaient de complètement changer la production d’acier. Hors, ces installations gigantesques coutent extrêmement cher, beaucoup se comptant en milliards d’euros (!). Cette seule dimension risque de limiter radicalement leur développement.

Une méthode intermédiaire consiste à injecter de l’hydrogène dans le haut fourneau, probablement sous forme de gaz de synthèse (syngaz), composé essentiellement d’hydrogène et de monoxyde de carbone. C’est d’autant plus pratique que la transformation du charbon en coke libère un syngaz (« gaz de cokerie » ou « gaz de houille« ) riche en hydrogène (62.7% d’H2 en moyenne). Il me semble que ce gaz doit être auparavant traité pour en retirer le souffre (notamment?). Il y a ThyssenKrupp et ArcelorMittal qui se sont engagés sur cette voie.

ThyssenKrupp

Le 11 novembre 2019, ThyssenKrupp a commencé à tester l’injection d’hydrogène (livré par Air Liquide) dans un haut-fourneau à Duisbourg, en Allemagne, ce qui devrait diminuer les émissions de CO2 de la production d’acier correspondante de 20%. . Le test, chiffré à 2.7 millions d’euros (dont 40% de subventions fédérales) a été lancé en novembre 2019 et devait durer 14 mois. L’entreprise prévoit néanmoins au final de prendre les mêmes voies qu’ArcelorMittal: une piste par DRI-EAF et une piste par captation carbone.

ArcelorMittal : le projet Igar

ArcelorMittal explore aussi cette piste à Dunkerque, avec le projet Igar :

À ArcelorMittal Dunkerque, le groupe développe un procédé hybride de haut-fourneau, qui implique l’utilisation de la technologie d’injection de gaz DRI dans la cuve du haut-fourneau ainsi que de l’injection de gaz dans les tuyères du haut-fourneau, en utilisant la technologie plasma pour créer un gaz réducteur. Il s’agit de la première mise en œuvre à grande échelle de ce qui est par essence une technologie hybride haut-fourneau/DRI. A terme, elle permettra d’injecter dans le haut-fourneau de l’hydrogène vert dès que celui-ci sera disponible.

ArcelorMittal, 13 février 2020

(Je ne suis pas sûr que ce projet soit encore d’actualité (cf la transformation complète des hauts fourneaux annoncée plus haut, en 2022). A vérifier.)

Les projets SALCOS et WindH2 par Salzgitter ag

Salzgitter prévoit de remplacer ses trois derniers hauts fournaux par des unité de réduction directe et de fours à arc électrique. C’est sa stratégie « SALCOS » (SAlzgitter Low CO2 Steelmaking). S’inscrivant dans la logique de Salcos, le projet WindH2 consiste, avec Avacon (énergie) et Linde (spécialiste de l’hydrogène) à produire de l’hydrogène qui aurait vocation à alimenter la transition du sidérurgiste. Ce dernier a mis 50 millions d’euros dans le projet. Plus d’informations ici.

Hors catégorie: l’électrolyse du fer par Boston Metal

C’est une piste un peu particulière, puisqu’elle ne s’inscrit ni dans la voie du haut fourneau (BF-BOF), ni dans la voie de la réduction directe (DRI-EAF), mais dans un procédé spécifique : l’électrolyse du minerai de fer (Melted oxyde electrolysis, MOE). Elle n’utilise même pas d’hydrogène et n’entre donc en principe pas dans notre champ d’étude, toutefois ce procédé est trop proche du sujet (il s’agit d’électrifier la production d’acier) et trop intéressant pour ne pas être abordé.

La réaction serait la suivante : Fe2O3 + e- => Fe + O2. Pour que cela marche, il faut que le métal soit fondu, l’opération doit donc se faire à plus de 1538°C. (Wiencke et al. 2018)

Ce procédé est exploité par Boston Metal, une entreprise dans laquelle ont notamment investi Vales (grand producteur de minerai), Arcellor Mittal et le fonds de Microsoft. Il s’agit encore d’une startup : elle a levé 20 millions de dollars en 2018 et 60 autres en 2021, puis 120 en 2023.

Les installations seraient en outre beaucoup plus modulables, faisant passer les investissements nécessaires de l’ordre du milliard pour la sidérurgie traditionnelle à l’échelle du million de dollar. C’est un aspect extrêmement intéressant pour créer des écosystèmes rassemblant production d’électricité, production d’acier et transformation de ce dernier. Le procédé serait même 35% moins cher que la production d’acier classique, demandant moins de matériaux et d’infrastructures.

Le projet Siderwin, qui implique notamment ArcelorMittal, tente également d’exploiter l’électrolyse du minerai, mais il semble moins avancé.

Quel modèle de décarbonation s’imposera ? Seul l’avenir le dira …


Sources:

  • World steel association (2020), Steel Statistical Yearbook 2020 concise version, A cross-section of steel industry statistics 2010 – 2019
  • Wiencke J., Lavelaine H., Panteix P-J., Petitjean C. et Rapin C., Electrolysis of iron in a molten oxide electrolyte, Journal of Applied Electrochemistry, 2018, https://doi.org/10.1007/s10800-017-1143-5
  • https://www.industrie-techno.com/article/l-hydrogene-a-la-rescousse.59256
  • Les articles Wikipedia sur ces sujets sont très complets : https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9duction_directe ; https://fr.wikipedia.org/wiki/Minerai_de_fer_pr%C3%A9r%C3%A9duit ; https://fr.wikipedia.org/wiki/Haut_fourneau
  • C’est pas sorcier « Le dire c’est bien, le fer c’est mieux » (absolument fantastique pour comprendre rapidement la production du fer)
  • Sénat (2019), Sur les enjeux de la filière sidérurgique dans la France du XXIe siècle : opportunité de croissance et de développement, Rapport d’information n° 649 (2018-2019) de Mme Valérie LÉTARD, rapporteure, fait au nom de la MI enjeux de la filière sidérurgique, déposé le 9 juillet 2019

Pour aller plus loin :